Années 2000 et 2010, l’intervention dans les enjeux sociaux

Mon départ à l’IRES, en 2002, pour prendre la succession de son directeur Jacques Freyssinet, n’était pas un saut dans l’inconnu. Je connaissais assez bien, certes de l’extérieur, l’histoire de l’IRES, né aux débuts des années 2000 de la volonté politique d’accroitre le pluralisme des institutions productrices d’études économiques et sociales. L’initiative fut lancée par le premier ministre Raymond Barre et se concrétisa par la création de l’OFCE, dans le cadre académique de Sciences Po, et de l’IPECODE, devenu plus tard REXECODE, associé aux fédérations professionnelles patronales. Dans le cas de l’institut d’obédience syndicale, il fallut le coup de pouce du premier ministre, Pierre Mauroy, qui prit le relais, sans doute parce qu’il disposait davantage d’arguments et d’influence auprès des confédérations syndicales représentatives pour les convaincre de gérer ensemble l’IRES, dans un esprit de coopération. Une de mes premières tâches à mon arrivée à l’IRES fut d’organiser son vingtième anniversaire, qui a donné lieu à colloque et à publication. J’y explicitais ma vision de la mission assumée par l’IRES (« L’information économique et sociale, la recherche et l’activité syndicale», La Revue de l’IRES, Supplément XXe anniversaire, 2003).

Je côtoyais le mouvement syndical depuis longtemps et j’entretenais des relations suivies avec divers responsables syndicaux, et pas seulement de l’organisation (la CGT) dont j’ai été longtemps adhérent. J’avais œuvré, dans le passé, à nouer des relations d’échange et de travail entre responsables syndicaux et économistes (un article de la revue Mouvements, à la vie de laquelle j’ai participé dans les années 1990-2000, en témoigne : « Quand économistes et syndicalistes dialoguent… », Mouvements, 2001). J’avais publié en 1998, un article, dans les Cahiers du Centre Confédéral d’Etudes Economiques et sociales de la CGT, sur la confrontation entre le syndicalisme et les doctrines économiques (« Le syndicalisme et les doctrines économiques : une ébauche de réflexion, à propos de la condition salariale », Analyses et documents économiques, 1998). J’ai mis à profit mon mandat de directeur à l’IRES pour densifier et approfondir cette ligne de réflexion.

Pour autant, la période où j’ai dirigé l’IRES, de juin 2002 à octobre 2006, ne fut pas un long fleuve tranquille. La gestion de l’IRES subissait les contingences qui affectent la vie du syndicalisme français et les relations entre ses confédérations. Après avoir décidé, en 2006, de mettre fin à ma responsabilité, je me suis exprimé publiquement sur les difficultés qui entravaient la capacité de recherche de l’IRES (« Le syndicalisme en manque de capacités de recherche », Les Echos, 23 février 2007) : avec le recul, je n’ai rien à retirer de cette expression, car la suite, jusqu’à aujourd’hui, a plutôt confirmé le diagnostic que je formulais alors. Je n’ai pas pour autant cessé mes relations de travail avec les syndicalistes de diverses obédiences.

Après une année de transition, en 2007, où j’ai dirigé DIAL, laboratoire d’économie du développement dont l’INSEE, l’IRD et l’AFD étaient les soutiens, j’ai pris une disponibilité de la fonction publique et rejoint, début 2008, le Groupe ALPHA, cabinet en relations sociales, dont la branche majeure et historique, SECAFI, développait expertise et conseil auprès des institutions représentatives du personnel et des organisations syndicales. J’avais depuis longtemps, avec Pierre Ferracci, le président fondateur du Groupe ALPHA, des relations de compagnonnage intellectuel et politique. J’ai, en 2009, pris la direction de la structure d’études du groupe, devenu ‘Centre Etudes & Prospective’. Le CEP s’est affirmé comme une équipe, restée de taille légère, à l’intersection des mondes de la recherche et du conseil. L’interaction des politiques publiques et du dialogue social sur l’emploi, le travail, les compétences et la formation est devenue le principal domaine d’investissement du centre, à travers une série de projets dont plusieurs reposaient sur la collaboration avec des syndicalistes français et européens. J’ai dirigé le ‘Centre Etudes & Prospective’ de la mi-2009 à l’automne 2015.

De fait, dans l’investissement personnel sur les enjeux socio-économiques, une forte continuité a prévalu entre les travaux menés à l’IRES et ceux qui m’ont mobilisé au sein du Groupe ALPHA. Nous avions organisé, de 2003 à 2005, à l’IRES, un séminaire sur les restructurations d’entreprise, rassemblant avec appétence et succès syndicalistes, experts, chercheurs, sur ce thème qui montait en puissance, tout en étant rétif aux raccourcis de l’analyse économique standard. L’enjeu normatif était important : comment mieux anticiper et négocier, entre acteurs sociaux, les restructurations, pour quelles finalités et selon quels critères ? Ce séminaire a donné lieu en 2005 à un numéro spécial de la revue de l’IRES, dont j’ai rédigé l’article conclusif (« Restructurations d’hier et d’aujourd’hui : les apports d’un séminaire »). Lorsque je suis arrivé au Groupe ALPHA, en 2008, j’ai participé à la phase finale du projet AGIRE (Anticiper pour une Gestion Innovante des Restructurations en Europe), conduit dans le cadre d’un consortium européen, pour le compte de la Commission européenne. Avec Mireille Battut et Alain Petitjean, nous avons tiré, de la matière accumulée et traitée par ce projet, une expression spécifique du Groupe ALPHA, au titre explicite (« Mieux anticiper et conduire les restructurations en Europe »). Dans les années suivantes, sollicités par des commanditaires divers, nous avons développé, avec l’équipe du CEP et divers consultants du Groupe ALPHA, des projets creusant le sillon des restructurations, de manière plus ciblée sur des domaines délimités (par exemple, l’impact des politiques publiques environnementales sur les restructurations). Au fil des sollicitations, la finalité de ces projets s’est élargie à l’interaction des politiques publiques et du dialogue social dans les domaines conjoints de l’emploi, des compétences, de la formation. L’onglet Publications recense les publications issues de ces projets, lorsque j’en ai été directement partie prenante et, dans certains cas, l’animateur ou l’un des animateurs.

Travailler dans un cabinet-conseil, même avec la circonspection du chercheur, conduit nécessairement à prendre le pli du consultant et à être quelque peu touche-à-tout. Travaillant sur les enjeux d’emploi, j’ai ainsi été conduit à m’impliquer dans les questions de compétences et de formation, que j’avais bien peu abordées auparavant, en veillant à bénéficier de l’apport de bons spécialistes de ces questions (comme Renaud Damesin, alors dans la branche Sémaphores du Groupe ALPHA). La Confédération Européenne des Syndicats avait sollicité l’équipe que j’animais sur ces thèmes dont elle s’emparait avec résolution. Nous avons mené ainsi deux projets pour la CES, à propos de l’initiative communautaire New Skills for new Jobs et de la validation des acquis de l’apprentissage non-formel et informel. De ce second projet, nous avons tiré un ouvrage collectif en anglais (Challenges, actors and practices of non-formal and informal learning and its validation in Europe, 2014). Une Lettre du CEP, parue en 2013, synthétise aussi les apports de ces deux projets (« Emploi, compétences et formation en Europe »).

Ces projets européens furent l’occasion d’enquêtes motivantes sur le terrain et d’échanges nourris avec des responsables successifs de la CES, John Monks, Joël Decaillon, Jozef Niemiec, Luca Visentini. Avec Luca Visentini, nouveau secrétaire général de la CES depuis son congrès de Paris en septembre 2015, nous avions commencé auparavant à réfléchir sur les enjeux de l’investissement éducatif en Europe. Un rapport d’étape, qui mobilise et interroge les données fournies par les enquêtes de l’OCDE, en est issu (« Investment in Education and Training : from national issues to European Perspectives », avril 2015). J’en ai tiré, sur un mode plus personnel, quelques billets sur le blog Défricheurs du social animé par le CEP (« La chasse au Mismatch », mars 2015 ; « L’investissement dans l’éducation et la recherche, victime collatérale du plan Juncker ? », mai 2015 ; « Rattrapage et efficacité de l’investissement éducatif en Europe », juin 2015).

Cette diversité d’interventions sur les terrains de l’emploi et du social m’a incité à m’efforcer de préciser ma vision personnelle. J’avais déjà mis à profit le projet conduit à l’IRES sur la comparaison des performances socio-économiques de quatre pays européens pour expliciter ma perception du diagnostic à porter sur la France et des réformes envisageables, en prenant appui sur les entretiens menés, avec Iain Begg, auprès d’une série de personnalités du monde économique et social (« Diagnostics et réformes en France », Revue de l’IRES, 2008). J’ai tiré, de l’observation et de l’analyse des péripéties de la crise ouverte en 2008 et des tentatives de réponses apportées dans le cas français, une série de billets, postés sur le site du Groupe ALPHA et le blog Défricheurs du social, portant notamment sur les mesures de politique économique et les réformes envisagées du marché du travail, dans un contexte européen de plus en plus pressant (billets listés dans l’onglet Publications).

Avec Florian Guyot, doctorant rencontré dans le cadre de la chaire Sécurisation des Parcours Professionnels, dont le Groupe ALPHA est l’un des partenaires, et passé ensuite à des tâches opérationnelles dans le cabinet de Michel Sapin, au ministère des Finances, nous avons commis un petit ouvrage aux Presses de Sciences Po (La sécurisation des parcours professionnels, 2014) qui, pour ma part, se voulait un résumé des réflexions accumulées depuis une décennie, à l’IRES puis au Groupe ALPHA, sur les enjeux de l’emploi, du marché du travail et de la formation. Nous nous sommes appuyés sur notre expérience, sur la littérature, sur une série d’échanges directs avec des acteurs sociaux, dont le livre rend compte explicitement. Comme, au moment de l’écriture, j’étais environ deux fois plus vieux que Florian, cet équilibre intergénérationnel m’a laissé espérer que nous avions fait œuvre modeste mais utile pour contribuer à clarifier, au-delà du slogan, une aspiration largement répandue dans la société. A l’automne 2015, les projets de « compte personnel d’activité », précisés par un rapport de France Stratégie et soumis à concertation par le gouvernement, indiquent que la sécurisation des parcours professionnels, dont les acceptions sont certes diverses, fait durablement partie de l’agenda social et politique. La loi dite El Khomri, adoptée dans la douleur à la mi-2016, entérine le compte personnel d’activité : il reste à en faire le support effectif de droits réellement mobilisables, qui constituent un véritable saut dans la sécurisation personnalisée des parcours et transitions professionnels. L’enjeu reste entier à l’heure des réformes engagées sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Les péripéties qui ont entouré, au printemps 2016, l’élaboration de la loi El Khomri, communément appelée aussi loi travail et formellement dénommée « loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », m’ont incité à revenir, en relation avec ces circonstances, sur la double expérience professionnelle vécue à l’IRES et au Groupe ALPHA. Je l’ai fait dans un billet posté, le 9 avril 2016, sur le réseau social LinkedIn et repris dans le blog de ce site (Le syndicaliste, l’élu et l’expert). Les éléments d’analyse proposés par ce billet mériteraient sûrement actualisation après l’adoption, en 2017, des ordonnances Macron qui réforment le code du travail mais leur tonalité générale ne paraît en prendre que plus de vigueur.