Avertissement: sollicité par une association amie pour réfléchir comme économiste sur le financement de l’industrie nationale de défense, je prends le risque de m’avancer sur un sujet chaud et délicat, où mes compétences sont fort limitées. Mais, après tout, qui est aujourd’hui expert de l’économie dite de guerre, enjeu qui nous concerne tous ? Les remarques et critiques éclairées, plus éclairées que ma lanterne, sont bienvenues. La version pdf du texte est téléchargeable ici.
Face à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine et à ses développements envisageables sur les années à venir, dans un contexte mondial lui-même porté aux résonances guerrières, la France, comme les autres pays européens, est conduite à réviser et adapter ses capacités de défense. Le financement de cet effort de défense repose sur trois piliers :
- La Loi de Programmation Militaire (LPM), adoptée en 2023, qui programme pour la période septennale 2024-2030 l’usage de 413 milliards d’euros consacrés aux diverses composantes de la défense nationale, en vue de porter l’effort public de défense à 2% du PIB dès 2025. Le financement de la LPM soulève la question générale de l’arbitrage entre impôt et emprunt pour le financement de la dépense publique, dans un contexte où la résorption du déficit et la maîtrise de la dette restent une ligne directrice du gouvernement, dont la mise en œuvre est difficile et tâtonnante, compte tenu de perspectives médiocres de croissance. Si les développements de la guerre et de la situation internationale venaient à susciter une adaptation de la LPM, l’arbitrage indiqué n’en serait rendu que plus sensible et soulèverait probablement un besoin de redéploiement significatif des dépenses publiques. Il ne pourrait s’exonérer d’un souci de justice sociale nécessaire à l’acceptabilité politique de l’effort. La LPM joue un rôle décisif à la fois pour proportionner les capacités de défense aux menaces envisageables et donner une visibilité de moyen terme aux entreprises productrices d’armement.
- L’articulation avec les dispositifs européens évolutifs mis en place pour coordonner, financer et organiser l’assistance militaire à l’Ukraine et l’effort de défense européen. En mars 2024, les Etats de l’Union européenne se sont accordés pour mettre en place au sein de la Facilité Européenne pour la Paix (FEP) créée en 2021, un fonds de 5 milliards d’euros spécifiquement consacré à la cession et à l’achat de matériel militaire pour le compte de l’Ukraine. Le Fonds Européen de Défense, doté de 8 milliards d’euros sur la période 2021-2027, a pour objet, quant à lui, de financer des programmes transnationaux de recherche et développement industriels dans le domaine de la défense. La Commission européenne réfléchit à son ciblage plus explicite sur les priorités stratégiques. Sur un mode encore préliminaire, la Commission vient de produire deux textes complémentaires, une communication sur la stratégie industrielle (European Defence Industrial Strategy ou EDIS) et une proposition de règlement (European Defence Industrial Programme ou EDIP) proposant aux Etats membres un développement cohérent de l’effort commun de défense et de son soubassement industriel, ouvert à la participation de l’Ukraine. Le programme EDIP mobiliserait des fonds du budget européen, à hauteur de 1,5 milliard d’euros sur la période 2025-2027, et pourrait aussi mobiliser les revenus issus des avoirs russes gelés. Il reste qu’à lire ces textes, qui affichent une ambition louable allant à l’encontre des quant-à-soi nationaux qui priment en matière de défense, sous la protection commune désormais plus incertaine de l’OTAN, les ressources aujourd’hui mobilisables en commun n’apparaissent pas à la hauteur. Sous l’impulsion de Kaja Kallas, première ministre estonienne, plusieurs responsables européens, dont le commissaire Breton et le président Macron, ont évoqué la possibilité d’un ample programme européen financé par l’émission d’eurobonds, bien plus important (jusqu’à 100 milliards d’euros) mais c’est là une perspective dont la concrétisation est conditionnée par l’issue des élections européennes et, plus largement, par les évolutions politiques au sein de l’Union.
- Le renforcement et le développement adaptés de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) qui regroupe l’ensemble des entreprises – grands groupes, entreprises de taille intermédiaire (ETI) et PME – contribuant peu ou prou à l’équipement militaire de la France et de ses partenaires. Le financement de cette BITD nationale et de ses investissements soulève des enjeux spécifiques qui sont l’objet de cette note. S’ils doivent être traités sans procrastination, ils ne doivent pas l’être sans avoir à l’esprit les perspectives associées à la LPM et aux initiatives européennes.
Les vulnérabilités de la BITD
Il faut souligner d’emblée que la BITD française est aujourd’hui confrontée, face aux besoins de l’économie de guerre appelée par l’agression et les menaces russes, à des contraintes limitant sa capacité de réponse instantanée et future et que ces contraintes sont multiples et cumulatives. Elles freinent la montée en cadence de la production face aux besoins exprimés par l’Ukraine pour sa défense. C’est pour partie l’héritage d’une période où l’appareil militaire et industriel, privilégiant les petites séries de haute qualité technologique, a été calibré pour être strictement proportionné aux flux de matériels nécessités par les armées en temps de paix, où les opérations militaires restent d’ampleur limitée et relativement prévisible ; en économie de guerre, la disponibilité des stocks et la production de masse retrouvent leur importance stratégique (le cas des munitions est typique). Ces contraintes concernent le recrutement et les compétences, les approvisionnements en matériaux et matériels, la robustesse des chaînes de valeur (aujourd’hui très internationalisées), les capacités de production et l’organisation industrielle permettant de produire plus et plus vite, le financement. La contrainte de financement n’est surtout pas à traiter indépendamment des autres : à quoi servirait de déverser de l’argent sur les entreprises de la BITD si celle-ci n’avaient pas la capacité de recruter les compétences adéquates ? En l’occurrence, la BITD se heurte aux difficultés générales de l’industrie (les métiers industriels sont réputés peu attractifs) et à celles propres à ses activités (l’armement comme activité non éthique). Il s’agit donc d’identifier des dispositifs de financement qui contribuent le plus efficacement au traitement conjoint de ces contraintes. Un financement bancaire généraliste ne suffira pas à lever les contraintes, compte tenu des spécificités de l’économie d’armement et de ses contraintes actuelles. Les normes de la rentabilité bancaire et les délais de retour attendus par les investisseurs ne s’accordent pas spontanément avec l’horizon et les aléas propres au secteur de l’armement. Le rôle pris par les critères RSE et par les exigences de conformité (réglementations anti-corruption et relatives aux embargos, brandies par l’extra-territorialité du droit américain) restreignent aussi l’accès de ce secteur au crédit bancaire. Si de grands groupes bénéficient de la participation de l’Etat à leur capital, ce n’est pas toujours un encouragement à la présence d’investisseurs privés et nombre de PME ou de start-ups de la BITD souffrent d’un manque d’accès aux apports en fonds propres et en capital-risque. L’ingénierie financière idoine doit aller étroitement de pair avec l’ingénierie industrielle : ainsi la nécessité de stocks importants appelle un partage des risques adéquat pour le financement de cette charge[1].
Un débat parlementaire encalminé
Récemment, deux rapports parlementaires se sont penchés sérieusement sur ces enjeux : en mars 2023, un rapport d’information sur l’économie de guerre a été déposé à l’Assemblée Nationale par le député Christophe Plassard, rapporteur spécial de la Commission des Finances ; en février 2024, le sénateur Dominique de Legge présente, au nom de la Commission des Finances du Sénat, un rapport sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française. Sur la base de son analyse, le rapport Plassard émet et liste, à plat, un ensemble de recommandations, comme autant d’options qui ne s’excluent pas et dont chacune mérite évaluation (cf. annexe). Il manque sans doute d’une énonciation plus franche des priorités, qui permette de clarifier la stratégie économique et financière de défense. Le rapport Legge se focalise sur la possibilité d’affecter une part des fonds non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) au financement des activités de la BITD, proposition concurrente à celle de la création d’un livret d’épargne spécifiquement dédié au financement des activités de défense. De fait, depuis un an, le débat parlementaire s’est concentré sur cette alternative. La proposition de fléchage partiel des fonds non centralisés du livret A, privilégiée par le rapport Legge, est concurrencée par celle, présentée par le sénateur Rachid Temal, d’un « livret d’épargne défense souveraineté », laquelle a donné lieu en Commission des Finances à un amendement rejeté dans le cadre de l’adoption du rapport Legge. La proposition de loi affectant une part des fonds du livret A à l’effort de défense a été adoptée par le Sénat début mars 2024, après deux tentatives malheureuses censurées par le Conseil Constitutionnel pour avoir été ajoutées à des textes dont ce n’était pas l’objet (LPM et loi de Finances). A l’Assemblée Nationale, fin mars, la proposition n’a pas franchi l’étape de la conférence des présidents de groupes et n’est donc, pour l’instant, pas inscrite à l’agenda de l’Assemblée. Le gouvernement, jusqu’à présent, ne s’est guère engagé, apparemment peu enthousiasmé par les propositions parlementaires. Un évènement majeur pour le financement de l’industrie de défense serait envisagé à l’horizon de l’été par Bercy[2].
De fait, j’ai envie de dire, que le débat parlementaire, en se focalisant sur l’affectation des livrets d’épargne populaire, est mal emmanché et ne s’empare pas réellement, en dépit des apparences, du problème du financement de l’industrie de défense. Il se donne bonne conscience en insistant sur le « signal politique » que constituerait l’affectation d’une part des fonds non centralisés du livret A à l’industrie de défense. Mais la lecture attentive du rapport Legge montre certaines impasses de l’argumentation et incite à explorer prioritairement une autre voie, au demeurant suggérée par les deux rapports. L’argumentation du rapport Legge se développe en trois temps :
- L’option la plus souhaitable serait un produit d’épargne dédié au financement des entreprises de la BITD, notamment afin de renforcer leurs fonds propres, mais cette option n’apparait pas réaliste. L’argument principal est la faiblesse anticipée de la demande des épargnants pour ce type de produit : « Les ménages français sont en effet réticents à souscrire à des produits dont les sommes peuvent être bloquées et les rendements volatils. Le secteur de la défense risquant d’être trop restreint pour assurer une profondeur suffisante à ce produit et en limiter les risques. Les épargnants français préfèrent en effet dans leur grande majorité des produits d’épargne règlementée, avec une rémunération garantie et une grande disponibilité de dépôts… Un produit d’épargne, avec un investissement en actions ou dans des entreprises non cotées, ne satisfait pas à ces deux critères. Seule une petite proportion des ménages français serait en mesure de souscrire à ce produit et de pouvoir en assumer les risques ». Si l’argument est à prendre au sérieux, notons cependant que les épargnants n’hésitent pas à placer dans l’assurance-vie, qui combine des fonds en euros au capital garanti et des unités de compte plus risquées : fin 2023, l’encours de l’assurance-vie dépasse 1900 milliards, soit presque quatre fois plus que les encours du Livret A et du LDDS.
- Une « solution d’attente » serait donc de flécher une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers le financement des entreprises de la BITD. Ces encours non centralisés représentent 40% des fonds collectés. Les établissements financiers doivent les mobiliser pour financer les PME, à hauteur d’au moins 80 %, les projets contribuant à la transition énergétique (10 %) et l’économie sociale et solidaire (5 %). Le financement des activités de défense reviendrait à ajouter « une sous-poche au sein de l’objectif de financement des PME ». Le rapport remarque cependant aussitôt qu’aucun secteur n’est aujourd’hui exclu a priori de ce financement des PME – hors l’impact des critères RSE et de conformité. Il observe surtout que le ratio des crédits aux PME rapportés aux encours non centralisés du livret A et du LDDS était de 301 % à la fin de l’année 2022 : l’octroi de crédits bancaires aux PME n’est pas handicapé par une pénurie d’épargne et, si les PME de la défense se heurtent à des difficultés de financement bancaire, ce n’est pas à cause d’une telle éventuelle pénurie. Au demeurant, les ressources sont fongibles au sein des bilans bancaires, si bien que les dépôts sur les livrets d’épargne réglementée ne sont pas en soi une ressource critique décidant de l’octroi de crédits. Le rapport en conclut logiquement, mais curieusement, que « le présent article [article 1er consacré au fléchage] ne se traduirait donc pas par des financements supplémentaires au profit de ces entreprises ». Il n’en est pas non plus attendu une modification significative du comportement des épargnants. La justification explicite du fléchage serait finalement « un signal politique clair de soutien aux entreprises de la défense », dans l’attente d’une solution plus adaptée et efficace. Cette notion de solution d’attente laisse perplexe : la situation actuelle n’incite pas tellement à attendre mais à prendre plutôt le taureau par les cornes. Si le manque d’appétence des épargnants pour des placements moins liquides et plus risqués que le livret A est évoqué aujourd’hui comme argument, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas encore valide demain.
- Le rapport indique une troisième option, déjà envisagée par le rapport Plassard de l’Assemblée Nationale (recommandation 8, cf. annexe) : renforcer les missions de la banque publique d’investissement Bpifrance en direction des entreprises de la BITD et de leurs fonds propres. Les actions déjà développées par Bpifrance pour soutenir le développement des PME verraient leurs ambitions accrues en direction des entreprises de la défense et de nouveaux outils mis en place à cet effet. L’article 1er bis du projet de loi, adopté par amendement, vise à consacrer ces missions dans l’ordonnance du 29 juin 2005 relative à la banque publique d’investissement. Il est bienvenu mais minimaliste : « Elle [Bpifrance] apporte son soutien aux entreprises de la base industrielle et technologique de défense en développant une offre de services et d’accompagnement à ces dernières, en renforçant leurs fonds propres et en contribuant à leur développement à l’international. »
Initialement, le projet de loi prévoyait la remise, avant le 31 décembre 2026, d’un rapport du gouvernement au parlement évaluant le fléchage d’une partie des encours du livret A et du LDDS et son impact. À défaut de résultat probant de ce dispositif, ce rapport devra évaluer l’opportunité de créer un produit d’épargne dédié ainsi que l’opportunité, pour Bpifrance, de développer de nouveaux instruments destinés au renforcement des fonds propres des entreprises de l’industrie de la défense. Par amendement de la Commission des Finances, ce délai a été avancé au 31 décembre 2025… Il n’est pas sûr qu’on soit sorti de la procrastination, alors même que l’industrie française de défense est déjà en cours de (re)mobilisation et que ses besoins n’attendent pas[3].
Un enjeu de souveraineté financière
Ce n’est pas la pénurie d’épargne qui explique la frilosité bancaire face aux besoins de la BITD, spécialement de ses PME, mais les spécificités de l’ingénierie industrielle et financière propre aux activités de défense et la prise en compte plus exigeante des critères éthiques et de conformité par les banques, sous pression de leurs actionnaires et de leurs clients. Sans doute faut-il définir une adaptation soigneusement encadrée de ces critères pour ne pas discriminer les activités de défense nécessaires à la sécurité de la France et de l’Europe, Ukraine incluse (cf. recommandation 6 du rapport Plassard en faveur d’un label ad hoc « entreprises de souveraineté »). Mais inciter à gonfler l’épargne liquide disponible auprès des banques sans toucher à ces blocages serait une impasse, à demi avouée au demeurant par le rapport du Sénat. Le livret A et le LDD collectent une vaste épargne liquide (mobilisable à tout moment par son détenteur) concourant au financement d’investissements de long terme (le logement social, la transition énergétique, l’économie sociale et solidaire) parce que la masse de cette épargne permet une rotation des placements individuels conciliant les horizons distincts des épargnants et des investisseurs. Avec les investissements dans la BITD, c’est un autre cas de figure : c’est un secteur d’activité bien plus étroit[4], où l’horizon de long terme est par nature incertain et chargé d’aléas et où les entreprises ont besoin de fonds propres contribuant à leur solidité. Il n’est pas souhaitable d’y associer un produit d’épargne parfaitement liquide. Il doit s’agir de placements qui sont plutôt de l’ordre de l’assurance collective. Et ils doivent être d’emblée adossée à des institutions capables d’allouer directement ou d’entraîner par effet de levier les financements idoines nécessités par l’industrie de défense.
La priorité est par conséquent de disposer, sur le plan financier, d’un bras armé, de nature souveraine, pour orienter, à court et moyen terme, la structuration, l’activité et le développement de la BITD en direction des besoins conjoints de la défense nationale et européenne et du partenariat avec l’Ukraine. Cet instrument existe aujourd’hui mais il reste sous-dimensionné face aux besoins qui se manifestent. C’est en effet, comme l’indiquent les deux rapports parlementaires, la banque publique d’investissement Bpifrance, née en 2013 du regroupement d’organismes préexistants et détenue à parts égales par l’Etat et la Caisse des Dépôts et Consignations. Bpifrance, qui peut se prévaloir d’un bilan fort honorable depuis 2013, intervient comme prêteur et investisseur, le plus souvent en partenariat avec des acteurs privés. Ses missions combinent : le financement des besoins à court terme des entreprises ; le financement de l’innovation (prêts à l’innovation et à l’amorçage) ; le cofinancement, avec les banques, de prêts bancaires à moyen et long terme ; la garantie de prêts bancaires ; l’investissement en fonds propres, directement et via des fonds partenaires, dans les entreprises de différentes tailles ; la distribution des soutiens financiers à l’exportation. Cette gamme de missions recoupe largement les besoins génériques de la BITD et de son développement. L’ingénierie financière développée par Bpifrance contribue à impulser l’offre bancaire grâce au partage des risques et aux effets de levier. A ces missions qui concernent tous les secteurs s’ajoutent des évolutions particulièrement intéressantes pour répondre aux besoins spécifiques de la BITD :
- Bpifrance a mis en place depuis 2018 un fonds d’investissement spécialisé, dédié aux entreprises stratégiques de la défense (Definvest), apparemment apprécié par les entreprises du secteur. Bpifrance gère aussi le Fonds innovation défense (FID), créé en 2021 par l’Agence de l’innovation de défense (AID).
- En 2021, 2022 et 2023, Bpifrance a lancé des fonds de private equity (investissement dans des sociétés non cotées) ouverts à l’épargne des particuliers, qui peuvent souscrire en direct et en ligne, mais aussi via l’assurance-vie et l’épargne-retraite. Le ticket d’entrée (l’investissement minimal) a été à chaque fois abaissé : il est passé de 5000 à 3000 puis 1000 euros. Evidemment, dans la mesure où le risque en capital est significatif et l’horizon de placement d’ordre décennal, c’est un placement qui reste élitiste, même si Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance entend en faire un instrument de « démocratisation » du private equity (voir son interview). Les deux premiers lancements ont permis de lever 200 millions d’euros, via 10000 souscripteurs. Le troisième fonds est plus explicitement consacré aux investissements dans les PME d’avenir, en collant à leur horizon d’investissement.
- Bpifrance contribue d’ores et déjà à la mise en œuvre des initiatives de la Commission européenne en direction des entreprises. Dès lors que des évolutions sont envisagées à l’échelle européenne pour que le Fonds Européen d’Investissement géré par la Banque Européenne d’Investissement puisse contribuer à développer l’industrie de défense, Bpifrance apparaît comme le partenaire naturel de la BEI.
En 2021, les actifs sous gestion par Bpifrance s’élevaient à près de 45 milliards d’euros, ordre de grandeur macro-économiquement significatif. Il n’en reste pas moins que face aux besoins de montée en puissance de la BITD et de l’effort de défense, la capacité financière de Bpifrance reste limitée, y compris pour optimiser, via les effets de levier, l’offre des banques disposant de leurs propres ressources.
D’où cette proposition : mettre sur pied un Fonds Souverain de Défense et de Sécurité sous l’égide de Bpifrance afin de s’appuyer sur l’expertise et l’expérience de cette dernière. Il devra être doté d’une gouvernance à même d’identifier et de faire prévaloir les priorités stratégiques, gouvernance ouverte à la puissance régalienne comme à la représentation nationale, dans un souci d’unité nationale. Sa vocation est d’impulser le renforcement et le développement des entreprises de la BITD, en appuyant leur capacité d’investissement, de formation et d’innovation. Il est ouvert aux partenariats avec d’autres entreprises européennes et aux co-investissements, y compris avec des entreprises ukrainiennes sur le territoire de l’Ukraine (outre l’enjeu militaire, c’est économiquement d’autant plus important que la viabilité de certaines productions d’armement suppose une complémentarité des commandes nationales et étrangères). Son intervention mobilise une gamme d’instruments financiers, notamment des apports en fonds propres et des cofinancements avec les banques afin d’exercer un effet de levier sur l’octroi de crédits bancaires aux entreprises. Le FSDS s’impose comme leader au sein du pool bancaire recommandé par le rapport Plassard (recommandation 7).
Le FSDS émet des titres et propose des placements aux investisseurs institutionnels (notamment aux fonds d’assurance-vie) et aux épargnants individuels. En direction de ces derniers, une gamme de placements caractérisés par des couples rendement/risque différenciés est à envisager afin de répondre aux attentes des différents profils d’épargnants (à l’image de la distinction entre fonds en euros et supports en unités de compte dans le cas de l’assurance-vie et des plans d’épargne-retraite assurantiels). L’Etat peut contribuer à la montée en puissance du FSDS par des incitations fiscales bien calibrées, conditionnées par exemple par la durée de détention des placements (cf. recommandation 10 du rapport Plassard). Le lancement des souscriptions auprès des particuliers devra faire l’objet d’une campagne d’information à la hauteur de l’initiative.
La montée en puissance du FSDS sera nécessairement progressive, de manière à maîtriser les effets d’apprentissage. Un premier seuil pourrait être une collecte de placements de l’ordre du milliard d’euros, mais en visant, sous réserve d’évaluation, une extension proportionnée aux évolutions envisageables du contexte mondial et de ses menaces. L’initiative est nationale mais anticipe des développements souhaitables et envisagés à l’échelle européenne, auxquels elle pourra s’associer le moment venu.
Annexe : Les recommandations du rapport de l’Assemblée Nationale sur l’économie de guerre (mars 2023)
Recommandation n° 1 : Autoriser les unités militaires à acquérir et tester des équipements pour permettre des expérimentations au plus près du terrain et soutenir les innovations de rupture.
Recommandation n° 2 : Défiscaliser tout ou partie des actifs immobilisés par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense afin de les inciter à se doter de stocks stratégiques et de composants critiques.
Recommandation n° 3 : Anticiper des niveaux de qualité des équipements différents en fonction de l’intensité de la phase de conflit afin de faciliter l’accélération de leur production en cas d’affrontement.
Recommandation n° 4 : Développer des solutions de travail intérimaire pour renforcer le vivier de travailleurs qualifiés à la disposition de l’industrie de défense en cas d’accélération des cadences de production.
Recommandation n° 5 : Créer un fonds de capital-développement pour les levées de fonds comprise entre cinquante millions d’euros et cent millions d’euros réalisées par des entreprises de l’industrie de défense.
Recommandation n° 6 : Créer un label ou un sous-label « entreprises de souveraineté » pour faciliter les investissements dans les entreprises dont la production participe à des activités de souveraineté.
Recommandation n° 7 : Envisager la création sous le contrôle de l’État d’un pool bancaire, regroupant les grandes banques françaises, destiné au financement des petites entreprises de la base industrielle et technologique de défense, et dont une partie des prêts pourraient être garantis par l’État.
Recommandation n° 8 : Augmenter les seuils d’intervention de Bpifrance pour les crédits export de 25 à 50 millions d’euros pour les opérations financées en prêteur seul et de 75 à 100 millions d’euros pour les cofinancements.
Recommandation n° 9 : Mobiliser l’épargne des Français au bénéfice de l’industrie de défense, via la création d’un livret ou d’un plan d’épargne réglementée ou à travers un emprunt d’État.
Recommandation n° 10 : Élargir les réductions d’impôt existant pour les investissements dans de petites et jeunes entreprises innovantes au secteur de la défense pour inciter les particuliers à investir dans les PME de la base industrielle et technologique de défense.
[1] Un bon aperçu synthétique des enjeux actuels de la BITD est offert par la table-ronde organisée en juin 2023 par la Fondation pour la Recherche Stratégique : https://youtu.be/x69gU6asIRc?feature=shared
[2] Voir l’article du Monde du 6 mars 2024.
[3] Voir l’intéressant dossier dans Le Monde du 18 avril 2024 : « Armement : comment l’industrie française se mobilise ».
[4] Le chiffre d’affaires des entreprises de la BITD dans le segment de l’armement était estimé à près de 30 milliards d’euros pour l’année 2017, d’après l’Observatoire Economique de la Défense.

