La « Costa », rituel cavalier et convivial

C’est une institution cavalière des Côtes d’Armor, la « Costa », ou la « Costarmo », ainsi familièrement désignée par les habitués, c’est-à-dire la randonnée costarmoricaine organisée chaque début d’été sur une semaine, en autonomie et en autogestion, par l’ACECA, l’Association des Cavaliers d’Extérieur des Côtes d’Armor. En 2025, j’en fus pour la troisième fois consécutive, avec trente à quarante autres cavaliers selon les années. Une troupe conviviale et diverse, qui se répartit par petits groupes en journée afin d’avoir la liberté de choisir les allures qui conviennent à leurs chevaux. Et le soir jusqu’au matin, c’est le rassemblement en bivouac, souvent à proximité d’équipements sympathiquement mis à disposition par les communes d’accueil, avec une rotation et un partage soigneusement planifiés des tâches communes. Il faut rendre un hommage reconnaissant à celles et ceux qui concourent à l’organisation et à l’intendance de cette équipée, en particulier à Yveline et Jackie Brunet, qui en sont depuis longtemps les chevilles ouvrières.  Yveline, cartographe experte, compose des itinéraires aux petits oignons, fort variés et bien équilibrés, avec juste la dose de surprises qu’il faut[1].

Une Costa… côtière

En 2023, la Costa commence d’emblée par un morceau de bravoure, avec des chevaux tout frais et chauds, qui n’ont pas encore eu le temps de se défouler : après l’attente patiente de la marée suffisamment descendante, c’est la traversée de la baie de Saint-Brieuc, depuis la plage de Saint-Laurent- de-la-mer jusqu’à la grève de Jospinet, sur la côte de Penthièvre, là où le rivage remonte vers le nord-est. La baie, ce jour-là, est parcourue de courants d’air qui allègent l’atmosphère orageuse. Elle est aussi sillonnée de quelques filières, par où les ruisseaux côtiers et la marée s’écoulent, un peu vicieuses à franchir, les chevaux n’appréciant pas de sentir sous leurs sabots un sol trop mouvant. Il faut tâtonner pour trouver le bon point de passage. Lorsqu’un sol ferme est retrouvé, c’est le plaisir de galops bien enlevés, sans bouchons dans cet espace évidé qui excite les montures, mais avec les bouchots en enfilade sur le côté, ces rangées de pieux droits plantés comme une forêt pétrifiée où les producteurs de Jospinet élèvent les moules.

La terre ferme rejointe, le parcours longe la côte en zigzaguant. Pléneuf-Val-André et Erquy sont contournés par des vallons ombragés, jusqu’au marais de l’Islet, à l’approche de la station balnéaire des Sables d’or. C’est une station balnéaire à la vague allure de village western, il y a même un saloon à ciel ouvert, qui accueille les chevaux au comptoir, avant que la troupe finalement impressionnante ne s’installe en bivouac. Le lendemain, le cap Fréhel est en ligne de mire et en majesté. Le cap et sa réserve naturelle sont abandonnés aux piétons et la Costa, traversant les landes à bruyères, bascule du côté est du cap. Le bivouac du soir s’installe dans le bosquet qui domine le spectaculaire fort La Latte, avec l’aimable autorisation de ses propriétaires. Et, le lendemain matin, il est six heures, le fort s’éveille, dardé par les rayons déjà vifs du soleil. La randonnée poursuit par monts et par vaux autour de la baie de la Fresnaye et de la vallée du Frémur, qui s’y jette, puis par tours et détours au travers de la campagne qui cerne Matignon, en passant par le port Saint-Jean, sur la rive est de la baie.

Autour de Saint-Jacut où le trait de côte fait des arabesques, la Costa file droit en tangentant le rivage là où des échancrures marines pointent à l’intérieur des terres: l’embouchure de l’Arguenon, surplombée par le château du Guildo, où les cavaliers jouent les chevaliers, puis les polders de la baie de Lancieux, en face de la presqu’île de Saint-Jacut. Les polders sont encore protégés par les digues empierrées mais sont en voie d’être repris par la mer : il faut avancer précautionneusement sur ces digues et, à un moment, renoncer à aller plus loin. Puis c’est la remontée de la vallée du Frémur. Car il y a deux Frémur ! Celui-là, c’est le « second », dont l’embouchure sépare Lancieux de Saint-Briac.

Le septième et dernier jour, après un convivial et matinal comité de départ dans l’ancien presbytère de Tremereuc, c’est une chevauchée tranquille, un peu venteuse, par les chemins creux à chouans et korrigans, jusqu’aux courbes alanguies de l’estuaire de la Rance et l’arrivée à Saint-Samson, d’où partira l’édition suivante de la Costa.

En remontant la Rance

Après ce spectaculaire parcours côtier, la troupe de cavaliers de l’édition 2024 s’est élancée, toujours scindée en petits groupes, depuis le point d’arrivée de l’année précédente pour plonger non pas dans la mer mais dans la campagne profonde de l’Argoat. D’abord droit au sud, en remontant le fil de la Rance, défilant fièrement sous les remparts de Dinan et par les ruelles de Lehon puis empruntant les chemins de halage de la Rance canalisée, propices aux allures. Et, après une boucle entre Saint-André-des-Eaux et Plouasne, la troupe a obliqué vers l’ouest, par un itinéraire agrémenté de quelques zigzags, passant par Bobital, Plumaugat, Sévignac jusqu’à la destination finale de Saint-Glen. La Rance, plus étroite et plus agreste, sera traversée de nouveau, se prêtant à la corvée d’eau pour les chevaux assoiffés.

Il y en eut donc pour tous les goûts cavaliers : des chemins de halage aux courbes régulières et des voies vertes rectilignes, auparavant ferrées ; des chemins d’exploitation bien dessinés et enherbés, des chemins creux humides et ombreux, des sentiers parfois plus incertains ou caillouteux en lisière de champ ou de forêt, quelques inévitables routes ; des rivières discrètes et enfouies sous la végétation, aux allures de mangrove. De la variété qui incite à gérer intelligemment et sagement sa monture et ses allures. Et des paysages changeants, dont la monotonie passagère, lorsque les champs nus se succèdent, laisse place, dans une même journée, à de beaux aperçus paysagers, sur les champs de blé parsemés de chrysanthèmes des moissons, les collines verdoyantes du Mené ou la dense forêt qui enserre l’abbaye de Boquen, dont la fondation remonte au 12e siècle. L’église abbatiale est dotée de beaux vitraux contemporains réalisés par le maître verrier Van Guy, dans le style médiéval du « vitrail de grisaille ».

Les haltes de midi sont au libre-arbitre des cavaliers, à qui il arrive de demander l’avis de leurs chevaux : il y en eut de pittoresques, comme celle-ci où une averse drue surprit les cavaliers à pied et incita une cavalière à s’abriter en s’allongeant dans un ratelier gracieusement mis à disposition, et cette autre où un daguet surgi de nulle part sauta par-dessus le pique-nique et disparut dans les fourrés, sans même avoir eu le temps de faire peur aux chevaux à l’attache. Et le soir, ce sont les retrouvailles conviviales de l’ensemble des cavaliers, confiants dans l’accueil préparé par l’équipe de service du jour, à commencer par l’apéro animé.

Il y eut de mémorables soirées, comme celle-ci, à Plumaugat, où les cavaliers furent dignement et chaleureusement accueillis par le maire, la comtesse, propriétaire du bois hébergeant montures et cavaliers et le plombier-rebouteux, qui proposa de soigner les entorses des chevaux et des hommes par les prières. Le lendemain soir, puisqu’autour de Plumaugat il y eut une boucle d’une journée, le même village fut animé par une cérémonie en l’honneur d’un curé résistant exécuté il y a tout juste quatre-vingt ans, avec une interprétation enlevée et vibrante du chant des partisans par une chanteuse dont le nom s’est malheureusement égaré. Comme il se doit, une dose convenable d’averses et de grains a vivifié la randonnée mais, pour des cavaliers parés, c’est plutôt un divertissement qui n’a jamais duré trop longtemps avant le retour du soleil. Et, un soir, blés et ciel s’embrasèrent après la pluie.

Au cœur de l’Argoat

C’est du cœur du centre Bretagne, à Laniscat, que la randonnée 2025 s’est élancée, flirtant les deux premiers jours avec le Morbihan. Ces premières étapes furent d’emblée sportives, par les chemins caillouteux et escarpés qui, enserrant le canal de Nantes à Brest et le lac de Guerlédan, traversent les Landes de Liscuis, parsemées de vieilles ardoises, et la forêt enchantée de Quénécan, tapie de pierres moussues. Mais de belles et longues allées, où les chevaux peuvent galoper à l’envi, parcourent aussi la forêt.

Changement de décor au troisième jour : passé Saint-Guen, la troupe emprunte des coteaux verdoyants et ombragés en direction du Quillio. Sur la route, la chapelle Notre-Dame de Lorette cohabite avec un cromlech bien plus ancien. La troupe rejoint la rigole d’Hilvern, qui alimente le canal de Nantes à Brest et dont le chemin de halage constitue une petite autoroute cavalière, qui emmène vite à Saint-Caradec. Le village est lové autour de son église dotée d’un superbe retable baroque, qui domine l’étang dont les rives accueillent chevaux et cavaliers. La lumière qui nimbe le clocher rythme les heures. Les tableaux du peintre Lucien Pouëdras, dispersés dans les ruelles du village, évoquent une vie paysanne disparue, fidèle au rythme des saisons. Un tableau montre ainsi un champ de sarrasin, ce blé noir aux fleurs blanches. Mais les champs de sarrasin, on en retrouve aujourd’hui sur le parcours ! Les chevaux, eux, profitent de la prospère et goûteuse savane locale.

Après une visite conviviale à la maison du Département, pour certains cavaliers privilégiés, et une pause méridienne, plus fréquentée, à l’orée de la forêt de Loudéac, l’équipée équestre costarmoricaine poursuit, le quatrième jour, par la traversée de cette forêt labyrinthique et fait étape le soir dans l’ancienne gare de Plémet, redevenue relais de poste. Puisque, après tout, le chemin de fer commença par la traction chevaline sur rail, avant que les chevaux-vapeur prennent le relais. Au cinquième jour, la chaleur monte sur les prairies bretonnes. Les berges du Lié et les bosquets qui les recouvrent sont bienvenus pour rafraichir chevaux et cavaliers, jusqu’au refuge bucolique de la Roche aux Cerfs pour le repos vespéral. Le blé grappillé en bordure des champs et l’eau vive font le bonheur des chevaux !

Les chevaux bien éduqués font d’excellents piliers de bar, qui savent se tenir, en accompagnateurs stylés. Ainsi, peu après le départ de la sixième étape, à Langast, et à son arrivée, à Moncontour, petites cités conviviales, les bistrots furent enfin au rendez-vous. Car, contrairement aux idées reçues, les bistrots sont devenus aussi rares que les médecins au long des itinéraires de l’Argoat. Entre ces deux haltes bistrotières, il y eut, via bocage et vallons ombragés, le point d’orgue du passage par le sommet arrondi de Bel-Air, point culminant des Côtes d’Armor (339 m quand même), d’où une échappée dans la végétation dense permet, si on n’est pas trop myope, de discerner, à une trentaine de kilomètres, la ligne bleue de la Manche.

Par monts et par vaux depuis Moncontour, par des chemins parfois méchamment embroussaillés, le champ de foire de Plaintel fut le point d’arrivée final de la randonnée. Mais sûrement pas pour vendre nos méritants chevaux ! L’épreuve du dernier jour consistait à sonner le départ suffisamment tôt et à adopter une allure suffisamment soutenue pour traverser à temps la route empruntée par le Tour de France et sa caravane, avant sa fermeture. Ce fut juste ! Mais les spectateurs agglutinés auront eu le plaisir d’assister au passage de nos chevaux, aussi fringants que les cyclistes qu’ils attendaient patiemment. Les cavaliers ont vite pris la poudre d’escampette pour ne pas semer le bazar et rejoindre plutôt le champ de foire.

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La suite en 2026…


[1] Les itinéraires sont consultables sur le site de l’ACECA. Et les notations toponymiques du texte permettent de reconstituer ceux des trois randonnées qu’il décrit.

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