La double angoisse des boomers

Arnold Böcklin, Villa au bord de la mer

J’ai été vivement interpellé par la lecture d’un article du journal bruxellois De Standaard, repris et traduit par Courrier International (n° 1554, 13-19 août 2020) : le gérontologue Peter Janssen envisage la « fermeture définitive » des maisons de retraite et propose huit « bonnes raisons » justificatrices de cette fermeture. Si son article fait explicitement référence au contexte belge, sa portée dépasse évidemment les frontières de la Belgique. J’ai diffusé cet article sur le réseau LinkedIn et j’ai été surpris par l’audience, ainsi que par le nombre de réactions et de commentaires, au demeurant tous intéressants, contrastés mais nuancés (même la directrice générale du groupe Korian a liké !). Preuve que ce sujet sensible touche au vif nombre d’entre nous, soit parce qu’ils sont confrontés à la relation avec des parents très âgés, pour qui le problème se pose pratiquement, soit, parce que, retraités proches ou récents, ils anticipent leur propre devenir : ce qu’on pourrait appeler la double angoisse des boomers, puisque cette génération bénie part désormais massivement en retraite tout en ayant encore fréquemment des parents en vie, compte tenu de la hausse passée de l’espérance de vie. Je n’adhère pas inconditionnellement à cet article, j’ai été interpellé par la radicalité de son plaidoyer et par la netteté de l’argumentation, que j’ai jugée de qualité, même si elle n’est pas exhaustive. Le problème est devant nous et il ne sera guère contournable.

L’article, accessible sur le site de Courrier International, est reproduit ci-dessous. Puis j‘ai sélectionné les commentaires qui m’ont semblé les plus pertinents, en anonymisant leurs auteurs et en mentionnant juste leur fonction. Pas de conclusion, mais la conscience d’un enjeu d’ordre civilisationnel à traiter.

Place aux commentaires:

A. Consultant en ingénierie des compétences : c’est une question cruciale qui oblige à une réflexion sur l’organisation des soins à domicile et des pratiques professionnelles et des structures adaptées à un tel enjeu.

B. Economiste retraité : je suis surpris que ce gérontologue ne traite pas du pourquoi de leur existence [des maisons de retraite] avec plus de profondeur : absence de volonté ou de possibilité de l’accompagnement des familles, problème du handicap plus ou moins grand et même si elles sont chères, problème des inégalités de ressources !

C. Directrice de la Valorisation de la Recherche dans une grande école : cet article est très stimulant, il pose de vraies questions. Des initiatives sont en cours pour explorer des solutions.

D. Gérant de société : facile à dire et à écrire mais ailleurs comment fait-on face au grand âge ? Aujourd’hui de nombreuses personnes dépassent les 90 ou 95 ans, une grande partie est dépendante, sans capacité de réaliser les actes de la vie quotidienne. Une DRH d’un petit hôpital/Ehpad en Bretagne m’expliquait les difficultés et souffrances des personnels qui voient arriver pour leur dernier mois de vie des personnes totalement dépendantes. Sauf exception, personne ne rentre de gaîté de coeur dans un Ehpad mais que ceux qui ont des solutions meilleures le fassent savoir (en allant plus loin que les yaca faucon).

B. Economiste retraité : bien d’accord, notre gérontologue a oublié les personnes âgées dépendantes !

E. Responsable communication dans le secteur public : d’autres solutions existent mais il est difficile de franchir le pas : les familles d’accueil formées à recevoir des personnes âgées n’ont pas toujours de candidat alors que la formule semble normale pour les enfants, les maisons en partage avec hôtesse financées par les départements comme dans le Gard ou les logements indépendants bénéficiant des services de l’Ehpad situé à côté comme dans l’Orne sont de belles initiatives. Les logeurs sociaux doivent multiplier encore et encore ces solutions à dimension plus humaine.

F. Consultante accompagnement du changement : encourager des soins à domicile en nombre et de qualité et démultiplier des accueils de jour de proximité pour soulager les aidants me semblent pouvoir être des solutions alternatives ou de transition.

G. DRH adjoint dans la fonction publique : J’ai été moi aussi intéressé par l’article mais je reste sur ma faim sur l’analyse du bilan coût-avantage entre Ehpad et maintien à domicile. Je me demande si l’on ne doit pas également réfléchir à une solution intermédiaire d’appartements indépendants dans une résidence médicalisée. En effet, le domicile est parfois trop grand, inadapté à la vie d’un senior et souvent éloigné de ressources médicales. Pour continuer ce débat…qui nous concerne tous.

H. Retraité d’un organisme public: cette solution a été retenue par la ville d’Annecy dès le début des années 80. Elle a donné d’excellents résultats, d’autant plus que ces résidences médicalisées, implantées dans des groupes d’immeubles ordinaires, ont permis à leurs habitants de rester au contact d’une population plus jeune et d’éviter ainsi de s’enfermer dans le récit de santé inhérent au vieillissement. Mais il s’agit là d’une situation intermédiaire. Le problème de la grande dépendance qui suppose une attention en 3 fois huit 7/7 reste posé. Le maintien au domicile dans ces conditions revient très cher, plus onéreux que « l’assignation » en Ehpad.

I. Psychothérapeute et conseillère professionnelle : La solution est sans doute de multiplier les propositions : prévention, maintien à domicile, petites structures médicalisées, cohabitation de personnes âgées, logements mixant les âges et les situations familiales,…

J. Cadre en Ehpad : je suis édifiée ! Les Ehpad sont médicalisés mais n’en restent pas moins des lieux de vie. Par vie , c’est donc des échanges, du lien social, de la convivialité, du partage . Comme pour chacun d’entre nous, même « à la maison  » il y a des difficultés, des discordes, des prises de bec et des moments douloureux! L’Ehpad est un petit village où personnels, résidents et familles partagent. Pour beaucoup, cela leur a redonné goût à la vie,car bien que conscients que cela soit leur dernier domicile, ils sont bien là et acteurs de leur quotidien ! Ils peuvent réaliser des choses qu’ils n’auraient jamais imaginé ou pu concrétiser. Donc arrêtons les généralités et parlons de ce que l’on connait !!! Je vais juste vous raconter l’histoire de Denise 83 ans, ayant fait un AVC, étant sous oxygène en continu et avec un diabète nécessitant surveillance et insuline 3 fois par jour. Elle n’a jamais connu que sa maison de famille a la campagne et n’est jamais allée au-delà de son village et ville avoisinante. En parlant, elle nous confie n’avoir jamais vu la mer et ça, elle aurait aimé. Nous avons décidé dans le cadre de son projet de vie de lui permettre de réaliser son rêve: elle à vu la mer, a marché dedans et avait des étincelles dans les yeux.

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