Les Etats-Unis dans tous leurs états

Je me suis laissé entrainer par mes petits-fils à aller voir le dernier Superman, lequel n’a jamais été ma tasse de thé depuis qu’enfant, j’en suivais les aventures en BD feuilletonnesque dans le quotidien régional que lisaient mes parents. J’avais mis un temps à comprendre que Clark Kent était l’avatar terrestre de Superman (comme Don Diego pour Zorro). J’ai donc vu le film de James Gunn et je me suis pris au jeu. Il faut dire que la débauche d’effets spéciaux enchainés tambour battant dans des paysages fantasmagoriques, au voisinage de la vitesse de la lumière, vous embarque sans coup férir et ne vous laisse pas de répit : on ne s’endort pas.

Le personnage intéressant n’est pas vraiment Superman, super-héros vulnérable et souvent à terre, plein de bonnes et naïves intentions, quelque peu mièvre, qui a bien besoin de ses complices méta-humains et de son super-caniche pour se sortir de mauvaises passes. C’est plutôt l’affreux Luthor, l’ennemi juré, que le spectateur un peu au fait de l’actualité américaine ne peut manquer de rapprocher d’Elon Musk, quoique le réalisateur James Gunn s’en défende dans un entretien avec Le Monde, mais peut-être a-t-il mis dans le personnage une dose de Bezos et de Thiel. SuperMusk est aussi odieux et égotiste que son modèle supposé, masculiniste en diable et pervers narcissique à grande échelle, mais c’est un génie de la physique quantique qui enferme ses adversaires et les gens qui ne lui plaisent pas dans des trous noirs hermétiques dotés d’univers de poche dont les geôles ressemblent à s’y méprendre aux cages qui accueillent les migrants expulsés dans les mega-prisons salvadoriennes. Luthor trahit son gouvernement en aidant le dictateur cinglé de la Boravie à envahir le pacifique Jarhanpur. Bref, le film explore, sur un mode accéléré et à gros traits, les états d’âme et les fantasmes américains. La happy end est de rigueur, les plans de SuperMusk seront éventés avant qu’il ait eu le temps d’absorber le monde dans son trou noir. Ce n’est pas pour autant rassurant : la masse des humains ordinaires qui assistent au combat des super-héros est versatile, lâche, décérébrée. Seule une équipe de journalistes, dont l’égérie de Superman, s’en sort honorablement…

Ce n’est pas une happy end qui conclut Eddington, le film d’Ari Aster, qui obéit à un autre registre, celui de la parabole d’allure réaliste. ça finit même très mal, avec un zeste de grotesque qui fait rire jaune le spectateur au terme de cette noirceur sans issue (je ne l’ai pas vu avec mes petits-fils !). Mais rien d’un trou noir ici, plutôt le trou perdu qu’est Eddington, bourgade paumée du Nouveau-Mexique, au temps du Covid et du port de masque. Ça commence comme à Clochemerle : le maire sortant, sémillant quinqua latino qui mise sur l’implantation d’un data center pour redynamiser sa ville, et le shérif local, bonhomme mais besogneux, à vrai dire peu performant dans sa fonction, et de plus rétif au port du masque, ce qui lui attire des ennuis, partent en compétition pour la nouvelle élection municipale, qui va prendre l’allure d’un western déjanté, d’autant que de vieux passifs opposent les deux hommes. Le shérif est doté d’une épouse affectée de lourds traumatismes de jeunesse et d’une belle-mère versée dans le complotisme. Il s’est mis la barre un peu haut et, allant d’humiliation en humiliation, il va plus que péter les plombs, partant dans une dérive perverse et criminelle qui catalyse l’explosion en factions hostiles de la communauté qu’il entendait protéger. C’est la guerre de tous contre tous, exacerbée par une overdose d’écrans et de fakenews : « la peur et la paranoïa augmentent à proportion du peu de confiance qu’on accorde aux autres et de l’incapacité qu’on a à se mettre à leur place » (Ari Aster, dans le Monde). Eddington, parabole de l’Amérique en proie à ses démons centrifuges ? Joe le shérif et Ted le maire, incarnation duale d’un rêve américain déçu et déchu qui vire au cauchemar de la sécession ?

L’affiche électorale de Ted m’a fait penser à la fresque qui vante Boca Chica, la ville texane quasi-privée où Elon Musk a installé la Starbase de son entreprise SpaceX et placé un homme lige comme maire. Au prix de conflits avec la tribu autochtone dont le territoire est proche, comme à Eddington. Décidément, le libertarianisme et l’altruisme, ça fait deux. L’émancipation technologique promise par la Silicon Valley vire à un propriétarisme sans limite, pour lequel rien n’échappe à la volonté d’appropriation exclusive, comme Luthor manquant de peu d’absorber le monde dans son trou noir.

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