La malédiction de l’architecte

Dans les années 1980, je passais assez régulièrement, pour des raisons professionnelles, par la grande dalle de la Défense (31 ha !), ventée et minérale, pas du tout convaincu par cet urbanisme d’affaires qui résonnait de fait avec l’époque. Je suis allé quelquefois dans le labyrinthique centre commercial des Quatre Temps, en m’y perdant. Et puis, lorsque j’ai vu s’ériger la Grande Arche (un quasi-cube ajouré de 110 mètres de côté), j’ai trouvé que c’était plutôt une bonne idée pour donner un autre souffle à ce quartier, ainsi rattaché à la perspective de l’axe historique parisien courant du Louvre à l’arc de Triomphe mais aussi ouvert, de l’autre côté, sur la banlieue nanterroise (les portes de Paris qui passent sous le périphérique sont en général fort déprimantes). Et lorsque l’arche fut achevée en 1989, j’ai trouvé en effet que la sublimation était réussie – même si les aléas de tous ordres ont empêché que l’édifice soit pleinement approprié par les Franciliens.

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Berlinguer, la nostalgie d’un échec

Une soirée de nostalgie cinématographique. Mais que choisir ? Le couple Montand-Signoret (« Moi qui t’aimais », de Diane Kurys)? Non, un homme de la même génération, car tous nés au début des années 1920, mais en nettement moins glamour : « Berlinguer, la grande ambition », du cinéaste italien Andrea Segre. Qui se souvient d’Enrico Berlinguer ? Les Italiens sûrement et, d’ailleurs, le film fut un grand succès en Italie à sa sortie en 2024. En France, il le sera inévitablement beaucoup moins, mais mérite d’être vu, ne serait-ce que pour avoir une sensation de saveur de l’Italie des années 1970. Le film incorpore nombre de pièces d’archives qui rendent cette saveur.

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Les Etats-Unis dans tous leurs états

Je me suis laissé entrainer par mes petits-fils à aller voir le dernier Superman, lequel n’a jamais été ma tasse de thé depuis qu’enfant, j’en suivais les aventures en BD feuilletonnesque dans le quotidien régional que lisaient mes parents. J’avais mis un temps à comprendre que Clark Kent était l’avatar terrestre de Superman (comme Don Diego pour Zorro). J’ai donc vu le film de James Gunn et je me suis pris au jeu. Il faut dire que la débauche d’effets spéciaux enchainés tambour battant dans des paysages fantasmagoriques, au voisinage de la vitesse de la lumière, vous embarque sans coup férir et ne vous laisse pas de répit : on ne s’endort pas.

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L’humour au temps de la guerre, technique de survie

Quand on devient familier d’un écrivain parce qu’on l’a lu depuis longtemps et régulièrement, fidèle au rythme et au style de ses publications, cette familiarité reste cependant quelque peu abstraite, comme celle d’un personnage un peu fantomatique qui vous accompagne sans que, comme lecteur, on puisse le connaitre vraiment. Et lorsque l’occasion se présente, c’est un peu comme si rencontrer le romancier, c’était aussi rencontrer un personnage de ses romans. Andreï Kourkov, romancier ukrainien de langue russe né près de Leningrad et citadin de Kiev, passant désormais à l’écriture en ukrainien notamment dans ses livres pour enfants, est un écrivain dont le personnage attachant confirme l’humanisme teinté d’une douce ironie qui émane de ses livres.

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Le prototype du tyran autocrate ou Suétone lu par Roger Vailland

Un jour lointain, lycéen d’une douzaine d’années, je reçus, comme prix de version latine, un livre qui n’était pas tout à fait de mon âge, des extraits choisis de la chronique de Suétone, Les douze Césars, commentés par l’écrivain Roger Vailland, qui relataient en détail les mœurs et les vices des dits Césars. J’avais déjà eu l’occasion de travailler en classe de latin sur d’autres textes moins scabreux de Suétone, mais la lecture de ces extraits-là me déconcerta quelque peu, je montrai le livre à ma mère qui, horrifiée, voulut me l’arracher mais c’était mon prix et je le gardai rageusement. Je l’ai conservé précieusement jusqu’à aujourd’hui, le feuilletant parfois, et je viens de le relire exhaustivement. Peut-être parce qu’il contenait cet avertissement final de Roger Vailland : « Prudent Suétone. Il nous a quand même dit tout ce que nous devions savoir de nos futurs cauchemars ». Ce livre était-il arrivé dans mes mains par intention ou par inadvertance d’un responsable de la distribution des prix ? Je n’en saurai jamais rien… [texte en pdf téléchargeable –> ici]

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Forcer le destin, au féminin (trois films)

L’ouragane (Germaine Richier)

Voilà trois films vus en ce début 2025 qui, parlant de lieux et de moments distants et empruntant des styles narratifs différents, n’ont, au premier degré, pas grand-chose à voir entre eux. Ils partagent pourtant un trait majeur, en traçant le portrait de femmes confrontées à des situations qu’elles n’ont pas choisies mais qu’elles se refusent à subir, chacune à leur façon (pdf téléchargeable du texte –> ici).

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Californie, rêve et cauchemar

Alors que la toute proche élection présidentielle aux Etats-Unis suscite l’attention et la tension, en n’étant pas de l’ordre d’une possible alternance classique mais en exacerbant les fractures de la société américaine, voilà qu’un roman, de l’autrice française Nina Leger, jette un regard vif et acéré sur une part de cette réalité américaine, traversée de violents contrastes socio-géographiques, sa part californienne.

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Les voix d’Aube l’Oranaise

Kamel Daoud aime donner vie et voix aux absents, aux oubliés, et il le fait avec éloquence. Dans Meursault, contre-enquête (Babel, 2016), il redonnait une identité, une famille à l’Arabe assassiné dans « L’Etranger » de Camus. Dans Houris, il redonne langue et parole aux victimes de la décennie noire en Algérie, ces années 1990 qui virent la violence islamiste se déchainer dans le pays – des victimes qui, lorsqu’elles ont survécu, sont marquées au plus profond d’elles-mêmes par les exactions et les massacres de masse qu’elles ont vécues. Ce n’est pas un exercice littéraire innocent, car « la charte pour la paix et la réconciliation nationale », imposée par le pouvoir algérien en 2005, gage la stabilité institutionnelle du pays sur la prohibition de ce qu’elle appelle l’instrumentalisation, notamment par écrit, des « blessures de la tragédie nationale », sous peine d’en subir les conséquences pénales. Un exergue du roman le rappelle utilement, sans fard. Cette stabilité, depuis vingt-cinq ans, s’est construite au prix de l’absolution des bourreaux, du silence des victimes et du déni de leurs souffrances, de l’acceptation de l’emprise islamiste sur la vie civile. [texte en format pdf téléchargeable ici].

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La France en parcelles

On peut tenir fermement à l’unité française, faite de diversité maîtrisée, sans céder à sa célébration irénique. Elle n’est pas aujourd’hui de l’ordre de l’harmonie mais elle est traversée par de sourdes tensions et de francs déséquilibres. Ce n’est certes pas nouveau et l’histoire de la nation française est spasmodique à cet égard. Fernand Braudel ne s’y trompait pas lorsqu’il explorait en historien « l’identité de la France »[1]: « La division est dans la maison française, dont l’unité n’est qu’une enveloppe, une superstructure, un pari… Le malheur est que toutes les divisions, physiques, culturelles, religieuses, politiques, économiques, sociales, s’ajoutent les unes aux autres et créent l’incompréhension, l’hostilité, la mésentente, la suspicion, la querelle, la guerre civile qui, allumée, s’apaise un jour sous la cendre, mais reprend au moindre coup de vent ». Bien sûr, Braudel ne disait pas que cela mais il le disait pour souligner que l’unité française n’est pas naturelle mais construite et que, comme toute construction, elle est vulnérable à l’usure et aux aléas. A bon entendeur… La diversité de ses lieux et de ses gens rend la France aimable, bien plus que les pulsions d’uniformité qui le saisissent parfois, et même trop souvent. La table des matières de l‘ouvrage de Braudel est à elle seule un programme : « Les provinces, assemblages de régions et de ‘pays’ différents… Prendre la route et, de ses propres yeux, inventorier cette diversité » (version pdf du texte téléchargeable ici).

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