L’étudiant dans son garni du Quartier latin (Gavarni, 1839)
Au XIXe siècle, devenir adulte à l’époque de la Restauration est porteur de frustration pour nombre de jeunes gens : les belles espérances émancipatrices de la Révolution sont remisées et l’aventure napoléonienne, au prestige rehaussé par la haine que vouent les ultras restaurateurs à l’usurpateur, n’a plus que le goût amer de la nostalgie pour une épopée défunte. Et afficher cette nostalgie est risqué. La vision romantique de l’histoire s’alimente de cette frustration. L’histoire n’est pas unidirectionnelle comme l’ont voulu les philosophes. Le classicisme, y compris celui des Lumières, rationalise l’histoire sur un mode téléologique, tandis que le romantisme met en avant l’histoire souffrante, ses pathologies et ses mystères, la considère avec insatisfaction et ironie. Pour Arnold Hauser, historien de l’art trop oublié, le romantisme conçoit l’histoire comme « un flux éternel de luttes sans fin », animé par des forces personnifiées. Dans ce texte, je m’appuie sur cet historien hongrois : sa lecture sociale de l’histoire de l’art et de la littérature, sur longue période, fascine par une érudition sans mesure ; elle repose sur un équilibre flexible entre un déterminisme marxiste bien trempé, qui rattache les expressions artistiques aux conditions sociales de leur époque, et une analyse nuancée de leur contenu esthétique[1].
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