Lamento haïtien

En 2009, nous avions accueilli, dans la structure que j’animais alors, une jeune stagiaire haïtienne, brillante étudiante de master. Aux vacances d’hiver, elle repartit en Haïti et fut engloutie par le séisme du 12 janvier 2010, alors même qu’elle se rendait à l’institut culturel français. Une vie amorcée, effacée sans coup férir par le tremblement meurtrier.

Haïti, pays de souffrance… Eddy est un jeune homme, depuis peu employé prometteur de l’administration fiscale, épris de probité dans un pays où celle-ci est une prise de risque extrême. Il subit le séisme et lui survit mais ne s’en relève pas. Le roman de Guy Regis Jr, « L’homme qui n’arrête pas d’arrêter » (JC Lattès, 2023) est un long lamento qu’Eddy s’adresse, usant de la deuxième personne, à lui-même sur un mode solipsiste, se dissolvant entre ses addictions, s’égarant entre ses amours perdus, se réfugiant parfois auprès de sa vieille maman pour tromper sa solitude et tempérer son désespoir. Il devient un zombie objet de dérision. Et pourtant sa curiosité réveillée par la vision d’un jeune rappeur assassiné dans une rue de Port-au-Prince lui fait reprendre un fil de vie fragile, une envie de savoir, jusqu’à retrouver la voie de l’échange avec ses semblables et vivre une épiphanie amoureuse régénératrice. L’exhortation finale d’un vieux poète le fera s’extraire enfin de la malédiction du zombie et se réapproprier une parole salvatrice, désincarcérée : « Puisque des années et des années, sans répit, que vous côtoyez de plus près la mort, des années et des années que vous êtes considérés morts. Morts avec ces terribles tremblements de terre, morts avec ces hécatombes, morts avec ces catastrophes redondantes qui secouent, tourneboulent, ratiboisent tout en vous. Il ne vous reste plus que la parole obsédante, éternelle. Pour arrêter de penser sur la même misère infernale, mille fois la même chose ».

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