Voilà un réjouissant roman yiddish traduit de l’hébreu… (par Jérémie Allouche). L’auteur, Yaniv Iczkovits, nous transporte dans la « zone de résidence », celle où, dans l’empire russe du 19e siècle qui avait conquis ces terres au détriment de la défunte République des Deux Nations (Pologne et Lituanie), la population juive était autorisée à résider. Fanny vit dans un village de Polésie (aujourd’hui en Biélorussie) en bon voisinage avec ses voisins goy tandis que sa sœur habite un shtetl proche. Cette sœur est désespérée par le départ inopiné de son mari, abandonnant sa famille pour aller tenter une carrière de prophète de rue à Minsk, situé près de 300 kilomètres au nord-est. Ni une, ni deux : Fanny, femme énergique et opiniâtre, d’esprit indépendant, quitte nuitamment sa propre famille pour partir à la recherche de ce mari désinvolte, accompagnée et aidée par un complice taiseux, au passé mystérieux. Cette expédition en charrette attelée, sur des routes mal fréquentées et dans des contrées hostiles, deviendra bien vite une équipée périlleuse et sauvage, dont les péripéties feront s’adjoindre au duo des compagnons pittoresques. Fanny a des ressources, elle a hérité de son père l’art de l’abattage rituel… Mais ce qui était une entreprise d’ordre familial devient perçu par l’Okhrana, la police secrète tsariste, toujours aux aguets, comme la manifestation d’un complot insurrectionnel, d’inspiration zyd (juive) bien sûr. La course-poursuite s’engage, féconde en péripéties et retournements. Yaniv Iczkovits déroule l’aventure avec la verve qui caractérisait l’écrivain de langue yiddish Cholem Aleikhem et plante avec profondeur des personnages qui réservent des surprises, lorsqu’ils cherchent à s’écarter ou à s’émanciper d’atavismes personnels hérités de traditions familiales et sociales. Même l’antisémitisme endémique qui hante ces régions n’est pas fatal. Ce roman est une ode à la liberté intime en un temps d’oppression. L’humour est grinçant, comme il se doit: « Qu’y avait-il de plus drôle qu’un homme tombant plus bas que terre ? Vous étiez presque contraint d’en rire, pour éviter de vous imaginer à sa place ».
C’était avant la Shoah et c’est aussi la géographie précieuse d’un monde disparu, une archéologie imaginée.
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